La source de la Buèges

Le mystère de ses troublantes eaux claires

Pégairolles-de-Buèges. Le village de 60 âmes au cœur de l'Hérault abrite une source dont l'origine a toujours été un mystère. D'où vient cette eau si claire consommée de tout temps par les hommes ? Est-il possible d'en trouver l'origine ? Comment s'assurer que son débit sera suffisant lors des sécheresses ? Qu'abrite cette étonnante cavité au fond de la vasque ?

L'équipe d'En Immersion a suivi Frank Vasseur, spéléologue et plongeur émérite, interviewé Georges Capus, Maire du village et recueilli les images exceptionnelles de Mathieu Foulquié, photographe subaquatique.

Un lieu de vie empreint de magie

Surnommée « la foux » en occitan, la Buèges est un affluent de l’Hérault qui serpente sur une douzaine de kilomètres. Sa source jaillit aux pieds de la montagne de la Séranne, qui borde la terminaison orientale du Causse du Larzac.

Georges Capus, le maire de la commune de Pégairolles-de-Buèges, nous explique ce que la source représente pour les habitants : 

« La source de la Buèges est un lieu magique. Son eau turquoise sort d’une faille, cachée au fond d’une vasque limpide de 20 mètres de diamètre et 3 mètres de profondeur. Le plan d’eau est bordé de jardins et d’une esplanade pour pique-niquer à l’ombre des platanes, c’est un endroit paisible qui accueille de vrais moments de vie. Fréquemment, les rives de la vasque sont investies pour des réunions de famille, des mariages, des temps de repos pour les randonneurs… La fête annuelle de la commune se déroule aussi à cet endroit, au début du mois d’août. »

Une ressource vitale pour l'alimentation en eau potable

La source de la Buèges a toujours été un point d’eau central dans l’histoire de l'humanité locale ! L’alimentation en eau potable du village de Pégairolles-de-Buèges par celle-ci a été envisagée dès 1908. Elle a été réalisée quelques années plus tard en 1923, avec l’électrification de la commune. Il a fallu attendre 1971 pour que le dispositif de captage de l’eau potable soit modernisé, notamment avec la réalisation du forage encore en fonctionnement aujourd’hui. Depuis 2010, la commune de Pégairolles-de-Buèges en a confié l’exploitation à la communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup, qui assure cette mission en régie. 

« Entre une soixantaine et 120 habitants - selon les saisons - sont alimentés en eau potable par la source de la Buèges, ce qui représente en moyenne 6 000 m3 d’eau distribués chaque année ! »

La quantité d’eau prélevée dans la source de la Buèges est considérablement moins élevée que son débit moyen ; en période d’étiage le plus sévère, les volumes prélevés représentent encore 2 % du débit de la source. D’un point de vue qualitatif, l’eau de la source est réputée pour son excellence. En effet, aucune pollution par les pesticides ou bactériologique n’y est relevée et de nombreux habitants vont directement chercher l’eau à la source pour utiliser la ressource à l’état brut. Elle reste toutefois traitée à titre préventif. 

Mais d'où vient cette ressource ?

De nombreuses spéculations ont toujours existé sur l’origine de la source de la Buèges, alimentées par plusieurs légendes et hypothèses.

Selon Frank Vasseur, spéléologue et plongeur souterrain professionnel, le mystère persiste : 

« La source de la Buèges fascine les spéléologues depuis le siècle dernier. Édouard-Alfred Martel, un des précurseurs de la discipline, en parlait déjà en termes élogieux parce qu’elle fait rêver et intrigue, grâce à sa couleur particulière et sa position. C'est un mystère, puisque personne n’a jamais retrouvé son cours souterrain. Aucun humain n’a pu marcher dans la Buèges souterraine dans ses amonts les plus extrêmes, sous le Causse du Larzac*… même après plusieurs expéditions »
* en dehors d'une partie de l'aven de la Leicasse

Certains ont effectivement essayé d’y voir plus clair !

La quête du mystère de la source de la Buèges

Une exploration en plusieurs actes

Le 2 juillet 1889, Édouard-Alfred Martel effectue une première visite d’étude de la source et déplore l’impossibilité de poursuivre son investigation : « à l’étiage, cette foux est un bassin dormant circulaire, plein de végétation impénétrable ». De nombreux spéléologues lui succèdent en recherchant l’origine de la source, sans réussir à élucider le mystère. Entre 1994 et 1995, une équipe de plongeurs réussit à effectuer deux plongées d’exploration après avoir découvert l’étroit passage au fond de la vasque. L’un d’entre eux, Marc Douchet, atteint 111 mètres de profondeur.

« Édouard-Alfred Martel comparait la source de la Buèges aux paysages de Delphes en Grèce, grâce à sa beauté et son caractère enchanteur »

La source de la Buèges fascine de génération en génération. Le spéléologue et plongeur professionnel Frank Vasseur cherche également et de nouveau à mieux la comprendre. Après avoir exploré plusieurs kilomètres de galeries noyées pendant plusieurs années plus en amont, il a souhaité replonger dans la vasque pour tenter de s’approcher encore plus près de la source de la Buèges.

Une plongée sous haute surveillance

Commune de Pégairolles-de-Buèges, communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup, Agence Régionale de Santé (ARS), réseau Natura 2000…

Avant de pouvoir entamer sa mission d’exploration, Frank Vasseur et son équipe ont dû obtenir plusieurs autorisations afin de garantir la préservation des milieux naturels, de la biodiversité qu’ils abritent et d’assurer le maintien de la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. 

Vue de coupe de la source de la Buèges

Frank Vasseur décrit sa plongée d’exploration. 

« La source de la Buèges est une cavité relativement simple et pas très longue puisqu’elle mesure moins de 200 mètres de développement. En revanche, elle descend très vite profondément, c’est une cavité à dominante verticale... »
« Nous sommes rentrés dans la source tout au fond de la vasque à 3 mètres sous le niveau du plan d’eau, dans un passage réduit que nous avions légèrement aménagé. Ici, il faut se faufiler pour réussir à rentrer avec le matériel nécessaire à la plongée, que nous transportons sur nous...
...Une fois que nous avons passé ce petit passage de rétrécissement, on arrive rapidement à la tête d’une verticale qui débute à 16 mètres de profondeur sous le niveau du plan d’eau, et qui dégringole jusqu’à 48 mètres de profondeur. C’est un grand puits magnifique, situé sur une limite de faciès entre deux couches de calcaire différentes »
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« Ensuite, il y a un tout petit passage horizontal où la progression n’est pas évidente puisqu’il y a du courant ; toute l’énergie de l’eau est concentrée dans cet espace, donc il faut lutter contre la vitalité du mouvement pour avancer »
« Après ça, on enchaîne sur un second redent qui descend de 52 à 68 mètres de profondeur. Ici, on a un magnifique sol de galets roulés, on voit que l’eau a travaillé et érodé, secoué et chamboulé la roche à cet endroit, c’est vraiment très joli. Et à partir de là, on a sur une centaine de mètres une galerie assez tourmentée, formée par un joint de strate, c’est-à-dire qu’elle est plus large que haute. On observe des lames d’érosion, de la roche un peu disséquée dans tous les sens, avec des sortes de crochets proéminents dont il faut faire attention en progressant »
« On arrive ensuite à 80 mètres de profondeur, sur un nouveau tronçon vertical qui descend dans une grande fracture jusqu'à 92 mètres. C’est une grande cassure dans la roche, qu’on appelle une faille. Et on descend jusqu’à un nouveau volume, où on retombe sur cette faille, qui va en se pinçant jusqu’à 111 mètres de profondeur. Ici, le passage devient trop étroit pour nous laisser passer avec notre matériel »
« Donc nous ne pouvions pas aller plus loin sans prendre de risque. Nous avons donc arrêté les relevés topographiques et les vidéos à ce moment-là, à l’endroit où les explorateurs s’étaient arrêtés dans les années 90 »

Frank Vasseur, spéléologue et plongeur professionnel, décrit en vidéo sa plongée d'exploration dans la source de la Buèges.

La biodiversité rencontrée pendant la plongée

Chabot de l'Hérault, espèce endémique de quelques tronçons de 3 rivières... dont la Buèges ! Espèce classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l'IUCN.

Chabot de l'Hérault, espèce endémique de quelques tronçons de 3 rivières... dont la Buèges ! Espèce classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l'IUCN.

Larve de Trichoptère dans son fourreau.

Larve de Trichoptère dans son fourreau.

Limnée commune (Ampullaceana balthica).

Limnée commune (Ampullaceana balthica).

Crapaud commun (Bufo bufo).

Crapaud commun (Bufo bufo).

Planorbe carénée (Planorbis carinatus).

Planorbe carénée (Planorbis carinatus).

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Chabot de l'Hérault, espèce endémique de quelques tronçons de 3 rivières... dont la Buèges ! Espèce classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l'IUCN.

Chabot de l'Hérault, espèce endémique de quelques tronçons de 3 rivières... dont la Buèges ! Espèce classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l'IUCN.

Larve de Trichoptère dans son fourreau.

Larve de Trichoptère dans son fourreau.

Limnée commune (Ampullaceana balthica).

Limnée commune (Ampullaceana balthica).

Crapaud commun (Bufo bufo).

Crapaud commun (Bufo bufo).

Planorbe carénée (Planorbis carinatus).

Planorbe carénée (Planorbis carinatus).

Des enseignements précieux et un mystère toujours présent

« Nous ne pouvons pas aller plus loin dans la source de la Buèges et nous avons collecté toutes les informations qu’il était possible de recueillir. Pour le bien de la biodiversité d'exception qu’elle abrite et pour l’équilibre du captage d’eau potable, la faille a été refermée et aucune nouvelle plongée d’exploration n’y sera organisée. »

Frank Vasseur

Bien que l’équipe de Frank Vasseur n'ait pas davantage approché l'origine de la source de la Buèges, cette dernière plongée a apporté de nombreux enseignements : 

  • La commune de Pégairolles-de-Buèges et la communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup disposent dorénavant d’une topographie complète et inédite de la cavité, mais également de photos et de vidéos de tout le parcours jusqu’à la zone terminale,
  • L’équipe de plongeurs a réalisé des relevés de sable qui ont révélé la présence de gastéropodes aquatiques dans la cavité et dans la vasque.

La plongée d’exploration a permis de préciser la configuration géologique et la situation hydrogéologique du site, d’améliorer les connaissances scientifiques et naturelles de cet espace, et donc de fournir des clés aux acteurs du territoire pour sensibiliser les habitants et les touristes à la protection de la vasque et des richesses qu’elle abrite ! Quant à l'origine de ses eaux limpides... la Buèges a su, une fois de plus, garder son secret.

Photos 

Toutes les images de ce site protégé - interdit de baignade pour préserver le milieu naturel et la ressource en eau potable du village - ont été prises avec l'autorisation de la commune, du Syndicat Mixte des Eaux et de l'Assainissement de la Région du Pic Saint-Loup et des autorités sanitaires et environnementales. Partage Facebook autorisé. Copie, utilisation et reproduction interdites. Tous droits réservés. Crédit : Mathieu Foulquié Photographie.

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